Débats d’experts

L’immigration, ça coûte ou ça rapporte ?

Peu de sujets suscitent autant de débats que celui des coûts de l’immigration.  L’immigration n’est pas la chasse gardée d’une formation politique.  Elle manifeste  une  évolution majeure et irréversible de notre société sur laquelle il serait souhaitable  que les politiques de tous bords se penchent sans a-priori, en prenant en compte à la fois les facteurs économiques et les facteurs humains. Peut-être arriverait-on alors à esquisser ce que pourrait être   la politique migratoire de la France dans une Europe qui peine à définir des convergences  et face à une mondialisation à laquelle il n’est guère possible d’échapper.

Les monographies de Jean-Paul Gourévitch sont étudiées attentivement par les rares experts de ce sujets, qui proposent des évaluations souvent différentes.

La denière étude de l’auteur : « l’immigration en France : dépenses, recettes, investissements, rentabilité » a suscité elle aussi quelques critiques. L’une d’entre-elles, portée par Jean-Yves Le Galou, Président de l’assocation Polémia porte sur le chiffre de l’accroissement de la population immigrée en France. Jean-Paul Gourévitch y répond par une lettre ouverte argumentée reproduite ici.

Controverses passées sur le coût de l’immigration

Coup sur coup, Yves-Marie Laulan (voir l’article), directeur de l’Institut Géopolitique des Populations et Gérard Pince, docteur en économie du développement et Président de Free World Academy,  viennent de rendre  publiques leurs estimations sur les coûts de l’immigration.

Celles-ci aboutissant à des déficits plus importants que les monographies  publiées par Contribuables Associés, nous avons demandé à leur auteur, Jean-Paul Gourévitch,  de les commenter et d’expliquer ces écarts. Celui-ci avait également  été sollicité par  la think tank Terranova, proche du parti socialiste, pour établir  une note de synthèse sur « la méthodologie de calcul du coût de l’immigration »  Mais Terra Nova a finalement  renoncé à la diffuser  parce que, dit-elle,  « compte tenu de notre  positionnement politique », nous ne pouvons publier un document selon lequel « la balance coût-avantages de l’immigration est défavorable malgré toutes les précautions prises pour souligner le facteur humain ».

L’actualisation de l’étude Laulan

Yves-Marie Laulan travaille depuis longtemps sur le coût de l’immigration. Il  avait publié , en concertation avec les professeurs Gérard Lafay et Jacques Bichot en 2004 et 2006 plusieurs études qui chiffraient le déficit annuel de l’immigration à 36 milliards d’euros dont 24 milliards pour les dépenses d’immigration et 12 milliards pour les dépenses d’intégration. L’analyse de cette étude figure dans la monographie n°14 de 2008 sur le coût réel de l’immigration en France.
Aujourd’hui il a actualisé ses chiffres  dans un court texte envoyé par mail et il aboutit à un déficit  de 70 millions d’euros. Ce quasi-doublement s’explique, selon lui,  à la fois par l’augmentation du nombre d’immigrés, notamment en provenance du Tiers Monde  entre 2005 et 2011,  et le renchérissement des coûts accentué par un chômage qui pèse sur ces populations.

Cette actualisation nous paraît justifiable des mêmes critiques que celles concernant l’étude antérieure.

. On ne peut pas considérer le nombre d’entrée des immigrés comme un indicateur fiable de l’augmentation de l’immigration car il faut en retrancher le nombre des sorties volontaires ou contraintes et des décès, et séparer l’immigration irrégulière de l’immigration régulière, la monographie n°25 sur Ce que nous coûte l’immigration irrégulière ayant démontré que la première crée un déficit proportionnellement supérieur à la seconde.

. Les dépenses d’intégration ne sont pas des dépenses à fonds perdus mais des investissements dont il faut mesurer la rentabilité en fonction de l’augmentation du niveau des vie des populations immigrées ou issues de l’immigration, des  fonds qu’elles transfèrent aux ressortissants de leur pays d’origine et qui peuvent dans une certaine mesure freiner l’immigration,  et surtout de leur contribution à l’augmentation de la productivité nationale.

. l’actualisation macroéconomique des coûts selon la méthode  des coefficients ne permet pas d’analyser dans le détail les évolutions fines qui se produisent dans les secteurs du marché du travail, des coûts sécuritaires et de structure, ou de l’économie informelle, comme   nous avons tenté de le faire dans la monographie n? 23 sur le coût de la politique migratoire de la France.

Bref, si nous ne contestons pas que le déficit annuel de l’immigration soit en augmentation  – il  est  passé de 26,19 milliards d’euros en 2008 (chiffres de 2007) à 30,4 milliards d’euros (chiffres de 2009)- ,  il  nous paraît  inférieur dans son montant global, et dans son taux de progression à celui avancé par Yves-Marie Laulan.

L’analyse de Gérard Pince

Gérard Pince n’est pas un inconnu pour les lecteurs de Contribuables Associés. Il avait déjà publié en 2004,  à partir des chiffres de l’INSEE,  une étude sur les coûts de l’immigration de ce qu’il appelle   « les pays tiers » ,  c’est à dire non-européens, qui aboutissait à un déficit annuel de 50 milliards d’euros.  La monographie n° 14 en avait rendu compte. Il actualise aujourd’hui cette étude dans un  document de quelques pages  publié sur www.freewordlacademy.com .

La méthode de Gérard Pince relève de la macro-économie. Pour échapper à toute critique concernant les données, il part des chiffres de l’INSEE (tout en entremêlant des données de 2005, 2007, 2008 et 2010) et des comptes globaux de la nation concernant les dépenses et les recettes sociales,  celles de l’Etat et des collectivités locales.

Les immigrés originaires du tiers monde et leurs descendants directs  seraient au nombre de 8 millions dont 2,8 millions de moins de 20 ans, 5 millions entre 20 et 60 ans, 0,2 millions de plus de 60 ans. Les chiffres des monographies et de nos études sur les Africains de France  sont quelque peu différents puisqu’ils aboutissent à 7, 7 millions d’immigrés et de descendants directs dont 5,8 en provenance du continent africain qui se répartissent en 1,9 millions de moins de 20 ans et 3,9 de plus de 20 ans.
Cette notion globale de tiers monde fait en effet débat. Il est difficile d’agglomérer dans une même statistique l’immigration d’Extrême-Orient qui est quasi exclusivement une immigration de travail et celle du continent africain et notamment d’Afrique subsaharienne qui est largement une immigration de peuplement. Comment considérer dans ce contexte ceux qui viennent des Balkans ou d’Amérique Latine?  Même si on ajoute la Turquie à l’Afrique, on aboutit à des totalisations différentes  dont  les incidences sur les dépenses et les recettes sont considérables.

Les dépenses consenties en faveur des immigrés du tiers monde sont selon Gérard Pince de 132 milliards d’euros, les recettes de 61 milliards. Le déficit est de 71 milliards sur lequel il affecte de  ne pas prendre position. « Après tout quand on aime on ne compte pas. Je vous signale toutefois que vous vous ruinez et qu’il serait temps d’en prendre conscience ».
Au-delà des divergences de méthode sur la quantification des immigrés et de leurs descendants entre  l’étude de Gérard Pince et les monographies de Contribuables Associés , il nous semble que l’approche  macroéconomique, certes plus  rapide et synthétique, rend imparfaitement compte du  détail des coûts de l’immigration et de leur évolution.
Ainsi on ne sépare pas l’immigration irrégulière (qui n’est pas comptée dans les statistiques de l’INSEE) de l’immigration régulière, et on aboutit à des amalgames discutables. Tous les immigrés ne sont pas locataires,  les cités ne sont pas habitées seulement par des immigrés du Tiers Monde , les coûts de la politique d’éducation , de l’aide au logement et de la politique de la ville ne peuvent leur être imputés en totalité. Les dépenses de l’Etat en matière  d’intérieur et de justice méritent un approfondissement poste par poste qui reste  inférieur aux 40%  qui seraient  la quote-part dévolue  aux ressortissants  des pays tiers. La  rentabilité des investissements consentis n’apparait nulle part dans les recettes.
Bref, si la macroéconomie a l’avantage de démontrer  que le bilan dépenses/recettes de l’immigration se traduit par un net déficit, celui-ci nous parait mériter une analyse plus fine.

Lutter contre la désinformation sur les coûts de l’immigration

Il n’en reste pas moins que ces deux études, quelles que soient les critiques qui peuvent leur être adressées,  confortent le combat contre ce que Gérard Pince appelle   » la propagande absurde qui prétend que cette immigration nous enrichit ». C’est malheureusement le cas d’un certain nombre de medias qui n’ont pas hésité,  comme nous l’avons montré , à affirmer que l’immigration était tout bénéfice pour la France  en instrumentalisant  l’étude de l’Université de Lille III qui ne traitait nullement du coût de l’immigration mais seulement de celui de la protection sociale à partir de données de   2005 …et parfois de 1993. On a en effet pu lire et entendre un peu partout que « l’immigration rapporte 12 milliards d’euros à la France », en oubliant que cette estimation ne concerne que… l’année 2006 comme le reconnaît l’auteur lui-même.

Dans ses derniers travaux l’auteur conclue toujours à un gain net de 8,886 milliards d’euros, mais toujours sur l’année 2005. La grande différence entre ses estimations et celles de Jean-Paul Gourévitch vient de ce qu’il se fonde sur des chiffres de 2005 et nous sur ceux de 2010 à 2012. Il fait également l’impasse sur les coûts de l’immigration irrégulière, les coûts de structure, les coûts sécuritaires, les coûts sociétaux et même la plus value apportée au PIB par le travail des immigrés.

Quand on a envie de croire et de faire croire que l’immigration dégage un solde positif,  on n’hésite pas à falsifier l’information et à considérer comme   compagnons de route du lepénisme tous ceux qui préfèrent la vérité des chiffres aux incantations vertueuses.